Ciel de Paris
Ici, les avenues sont longues comme des tronçons d’autoroute à la gloire de l’Empire et les pelouses ressemblent à des stades de foot. Du quai Voltaire aux Invalides en passant par l’Assemblée Nationale, l’aristocratique arrondissement se parcourt comme un musée à ciel ouvert.
09H30
Les Invalides
À cette heure matinale, les pelouses de l’esplanade
des Invalides ne sont pas encore la cible des
footeux, des pique-niqueurs ou des manifestants qui
la peuplent habituellement. Depuis le pont Alexandre
III, bronze et or – encore plus spectaculaire de
nuit – l’impériale perspective dominée par le dôme
doré laisse sans voix (et sans un sou si vous
désirez acquérir une chambre de bonne à proximité).
L’Hôtel des Invalides, fondé par Louis XIV pour
accueillir les soldats en déshérence, prouve encore
– hélas! – sa vocation puisque certains personnels
de l’armée, grièvement blessés dans des guerres
inutiles sont soignés ici même. Pour les fondus de
la chose militaire, ou tout simplement les curieux,
le musée des Armées expose l’histoire de France dans
sa version martiale. L’unique occasion d’admirer les
uniformes et les étendards qui s’illustrèrent sur
les champs de bataille au cours des siècles. Et,
bien sûr, l’impressionnant mausolée de
l’Empereur.
Musée des Invalides, 129, rue de Grenelle
Tarifs : 8 € et 6 € – Tél : 01 44 42 38 77
M°/RER_: Invalides, Latour-Maubourg, Saint
François-Xavier.
10H55
La Baguette des Près
À deux pas de l’illustre esplanade, Patrick et
Pascale Colas animent leur boulangerie « La baguette
des Près » à la façade violette. Avec ses airs de
néo-rural retiré en Ardèche, Patrick ressemble
davantage à un touriste qu’à un boulanger présent
rue de Grenelle depuis une vingtaine d’années. « Le
Touriste, c’est le surnom qu’on m’a donné dans le
quartier car je ferme les week-ends, je fais les
ponts et je suis plutôt bronzé quand je reviens de
la campagne. Mais il y a une vie en dehors de la
boulangerie. » Surtout lorsqu’on travaille depuis
l’âge de quatorze ans. Cela n’empêche pas de
pratiquer le métier le plus sérieusement du monde
(le cake à l’orange, les macarons et les pains
spéciaux du couple Colas sont très prisés dans les
environs). Que dire du VIIe ? « C’est un monde
élégant, discret et courtois ; l’univers des grandes
familles, fortunées pour certaines, mais sur la
corde raide pour d’autres, confie Pascale. Les
clients y sont fidèles. Le petit Charles-Henri qui
m’achetait des carambars est aujourd’hui PDG et
continue de prendre sa baguette chez nous. En fait,
c’est le plus beau quartier de Paris et nous sommes
au cœur de la carte postale. » Pour ne pas dire en
haut de l’affiche puisqu’Alain Delon qu’on croise
parfois vit à quelques immeubles de là.
178, rue de Grenelle – Tél. 01 45 51 06 35
– M° École Militaire
11H30
L’horizon boucher de la rue Cler
À la perpendiculaire est la rue Cler, l’artère
commerçante de cette partie du VIIe qui en compte
peu. Le peintre Frans Schuursma (voir Cigale n°9) ne
quitte sa péniche que pour venir s’y approvisionner
et l’actrice Judith Godrèche arpente le pavé en
attendant la Croisette. Parmi tant d’échoppes aux
prix prohibitifs, nous nous arrêterons à la
boucherie Roger – plus raisonnable – qui prolonge la
dynastie Billebault depuis quatre générations.
Damien Billebault, l’héritier en titre de l’empire
fondé dans les années 50, est à la tête d’une
dizaine de magasins bien connus des amateurs de
viande délicate et de côtes de bœuf épaisses comme
des édredons. « Nous faisons de la boucherie haut de
gamme à des prix raisonnables », explique ce
quadragénaire prospère qui a gravi tous les échelons
du métier avant de reprendre les rênes de la famille
en n’oubliant jamais de rendre hommage à son père,
toujours présent, et à ses bouchers – « volontaires,
motivés, jamais malades et toujours à l’heure » – ;
et qui se pose en observateur des habitudes de
consommation « Il y a un effritement constant de la
consommation de viande depuis vingt ans. Il y a eu
la vache folle mais pas seulement. Le délitement des
familles et l’absence de repas de famille dominicaux
sont plus largement en cause. Cela existe encore un
peu dans la clientèle bourgeoise et parmi les
Français d’origine portugaise qui ont les mêmes
mœurs que nous avions il y a trente ans. Dans le
VIIe, c’est une belle clientèle, bien ancrée dans
une certaine tradition française. L’arrondissement
est un peu le berceau de la famille puisque mon
grand-père a implanté sa première boucherie rue de
Grenelle dans les années 50. Le village de l’École
Militaire est très convivial où l’association de
commerçants est l’une des plus dynamiques de Paris
qui organise des manifestations autour du Champs de
Mars et de la Tour Eiffel. Si le petit commerce veut
continuer d’exister face à la grande distribution,
il lui faut miser sur l’accueil et la considération
de la clientèle. » Dont acte.
52, rue Clerc – Tél. 01 45 51 34 06
M° La Tour-Maubourg
12H05
Visite citoyenne à l’Assemblée Nationale
Au carrefour de l’École Militaire, plusieurs
vocations s’offrent au promeneur : embrasser la
Carrière et parcourir les nombreuses ambassades
alentour, ou bien opter pour une ambition
ministérielle qui vous mènera, au gré du vent, à
l’Hôtel Matignon rue de Varenne, au Quai d’Orsay
(superbe vue sur les Affaires Étrangères et sur la
Seine) ou encore à la Jeunesse et aux Sports rue de
Bellechasse. Reste la députation et les ors de la
République à peu de frais : que vous soyez député,
ou bien dépité, l’Assemblée Nationale s’ouvre –
difficilement – à la curiosité citoyenne pour des
visites guidées et gratuites. Épargnez-vous les
fastidieux débats parlementaires (l’éloquence de la
IVe a laissé place aux ânonnements de la Ve) pour
nous concentrer sur le décorum de la bibliothèque
signée Delacroix ou les salons Pujol, Casimir
Perrier ou Mazeppa. Des escaliers en marbre, des
cascades de cristal tombant des plafonds hauts comme
des cieux, des gardes républicains en grand uniforme
d’apparat et des huissiers en train de lire l’Équipe
composent la toile de fond de la vie parlementaire
dont on croise certains acteurs au détour d’une loi
absurde. Un kiosque à journaux, une buvette (très
fréquentée), une salle de sport, un salon de
coiffure réconcilient les antagonismes du jour et
redonnent à la démocratie austère un visage plus
jovial. De sinécures en enfilade, la visite se
prolonge une heure durant ; cinq ans minimum pour
les plus malins.
33, quai d’Orsay – Visites sur réservation
M° Assemblée Nationale
13H10
Cuisine politicienne
Si vous avez le goût de la Res Publica et de la
cuisine du sud de la Loire rendez-vous au restaurant
« D’Chez Eux » tenu par Jean Pierre Court. Depuis
les cuisines on y témoigne des agapes rabelaisiennes
de Jacques Chirac et Philippe Séguin, de la
frugalité de Lionel Jospin et du mutisme de Vladimir
Poutine. Un habitué des lieux, peu ému par de telles
fréquentations, prend des accents poujadistes et se
met à table : « Les alternances politiques ne
coupent pas l’appétit de nos Princes. D’autant que
c’est nous qui payons l’addition »…
2, avenue Lowendal – Tél : 01 47 05 52 55
– M° École Militaire
14H30
Georges Costantino, bottier pour dames
Une petite boutique de la rue Amélie renferme une
partie de la mémoire du Paris élégant, celui du Dior
des débuts, de Balmain et du prestige français via
le génie italien. Après 90 ans, et quelques ennuis
de santé, Georges Costantino est aujourd’hui le plus
ancien artisan de Paris doublé d’un grand monsieur.
Auprès de son épouse charmante, ce contemporain de
Berlotti père dont il fut un intime, est l’un des
derniers bottiers de luxe pour femmes à faire du
sur-mesure. « À mon âge, je ne travaille plus comme
avant. D’autant que la plupart de nos clientes ne
sont plus de ce monde » déplore-t-il, fataliste en
posant sur soixante années de travail une nostalgie
bien compréhensible puisque celle-ci rime avec un
savoir-faire et la fréquentation d’un monde révolu.
« Je dois tout à mes frères qui m’ont élevé. Quant à
la chaussure, c’est une tradition familiale puisque
mon père avait travaillé chez Lobb, à Londres avant
de s’installer à Paris. Mon frère Laurent, lui,
était le crack d’André Perugia, le bottier lancé par
Poiret. C’est lui qui montait les escarpins de
Mistinguett et Joséphine Baker. Moi, j’ai commencé
avec Dior et Balmain quand ils étaient modélistes.
C’est d’ailleurs Dior qui m’a commandé des souliers
en réduction qui ont fait le tour du monde et qui
sont aujourd’hui exposés au musée de Philadelphie
aux USA ». Des prix, des distinctions, des diplômes
sanctionnent la carrière de Monsieur Costantino,
chausseur des femmes les plus élégantes de
l’après-guerre qui portèrent ses créations comme des
diadèmes (et commandèrent parfois à quarante
exemplaires). D’ailleurs, ce fils de Vinci a chaussé
une reine (de Hollande), la Duchesse de Montfort («
une grande dame richissime dont l’ascenseur privé
était en acajou capitonné de satin bleu » nous
confie Madame Costantino), des baronnes, des
comtesses et l’essentiel de la noblesse du VIIe
arrondissement quand de noblesse on pouvait encore
parler. « La chaussure pour femme n’a plus
grand-chose à voir avec ce qu’elle était. Notamment
en raison des cuirs. La France était N°1 en terme de
tannage. Les peaux macéraient deux ans dans des
fosses, ce qui donnait le cuir le plus délicat.
Mais, peu à peu, les tanneries qui étaient une
richesse française ont disparu et le cuir est aussi
raide que du bois. C’est pour cela que tout le monde
a mal au pied. » CQFD. À partir des « formes » en
bois, l’artiste prisé par le Tout-Paris, coud avec
une alêne la « tige » (le cuir) à la semelle galbée
selon la méthode élitiste du « cousu très pointe ».
Le résultat de ce long processus consiste en de
merveilleux escarpins qui habillent les jambes des
femmes selon le vœu de Monsieur Costantino pour qui
« la grâce est à l’esprit ce que le soulier est au
pied ». Un livre ne suffirait à étancher tant de
souvenirs, d’anecdotes et une époque dont il fut,
avec Madame, un précurseur dans son domaine, un
témoin précieux, un homme de l’art et de cœur.
18, bis rue Amélie – Tél. 01 45 51 75 19
– M° La Tour-Maubourg
16H00
Musées et muses
Une sieste bien méritée dans le discret square
Denys-Bühler (147, rue de Grenelle) redonnera des
forces pour partir à l’assaut du musée Rodin (77,
rue Varenne – M° Varenne) où les plus belles
pièces du maître – y compris celles « licencieuses »
ainsi que les esquisses et les études – sont
exposées jusque dans le parc ombragé de l’ancien
hôtel de Biron qui jouxte le lycée Victor Duruy où
paressent les plus jolies statues de chair de Paris.
Dix minutes de marche en passant par le boulevard
Saint-Germain vous mèneront jusqu’au musée d’Orsay
(1, rue de la Légion d’honneur – M° Solférino,
RER C Orsay) fleuron de la rive gauche qui invite,
jusqu’en septembre, ses visiteurs à découvrir la
collection du Marchand d’art Ambroise Vollard,
promoteur de Cézanne, Van Gogh, Gauguin, Matisse ou
Picasso.
17H25
33, Quai Voltaire
Depuis que le couple Chirac a jeté son dévolu sur le
quai Voltaire, la berge opulente est désormais
connue jusque dans les campagnes les plus éloignées.
Quelques personnages plus intéressants lui donnèrent
pourtant ses lettres de noblesse : Baudelaire,
Montherlant (qui s’y suicida), Wagner, Oscar Wilde
et, bien sûr, Voltaire. La concentration
d’antiquaires de très haute gamme constitue la trame
miroitante des environs où l’on pourra débourser
jusqu’à quatre cent mille Euros pour un secrétaire
du XVIIe siècle. Dans la galerie Giorgio Salvai,
animée par Nicolas Grégoire (ancien élève de l’École
du Louvre et d’une école d’expertise), les
antiquités italiennes sont à l’honneur et prodiguent
au visiteur le sentiment de parcourir un musée
romain plutôt qu’une échoppe parisienne. Nous y
admirerons un bureau à battant laqué datant du
siècle des Lumières au prix d’une maison de campagne
et une console monumentale recouverte de marbre
rosé. Une débauche de classique et de baroque
organise le décor où évolue notre « guide » qui est
aussi décorateur, partageant son temps entre le quai
Voltaire et le monde entier où de riches clients le
convoquent pour orner des palais. « Nos clients
parisiens sont rarement français et plus souvent
italiens, finlandais ou américains. Hélas, les
nouvelles fortunes françaises ne veulent que du
contemporain, des sols en béton, des murs blancs et
des meubles de chambres d’étudiant à cinquante mille
Euros. Là, je ne suis pas compétent », précise cet
esthète qui préfère deviser de quatre encoignures
d’époque Louis XIV marquetées de marbre ne trouvant
pas preneur en France ; alors qu’une merveilleuse «
boîte à secret » – un labyrinthe de tiroirs dérobés
– évoque la Venise de Casanova. Parmi tant de
clients célèbres, Madonna et Georges Clooney qui se
disputèrent un vase finalement emporté par
l’acteur…
Galerie Giorgio Salvai
33, Quai Voltaire – Tél. 01 42 60 10 08 M° Rue
du Bac
18H30
Des sourires et des hommes
La rue du Bac, théâtre des libations d’Antoine
Blondin (au célèbre café Le Bar-Bac) s’orne, au n°
46, de la boutique Deyrolle établie depuis 1888. Les
amis des animaux s’en émouvront alors que les
amateurs de taxidermie admireront les collections
d’insectes et d’animaux naturalisés – tigres,
éléphants, paons, lions, autruches – qu’on vient
voir de très loin. En passant devant le n° 108, nous
aurons une pensée pour Romain Gary, diplomate,
écrivain et époux malheureux de l’actrice Jean
Seberg, suicidé en 1980. Ici, et jusqu’au-delà du
VIe mitoyen, les immeubles pré-haussmanniens sont en
soi des pièces de musées qu’on admirera le nez au
vent ou dans les livres puisque le quartier des
écrivains et des éditeurs n’est qu’à quelques pas de
là. Le bar du Pont Royal (rue du Bac), moins connu
du grand public que les Deux Magots ou Le Flore, est
une sorte de crypte cosy ou la « gendelettre » se
réunit nuitamment pour des conciliabules décisifs.
Le prix de la coupe de champagne n’est hélas pas
fonction des droits d’auteur qu’un romancier
débutant aura accumulés. Les jeunes femmes pas trop
regardantes auront plus de chance auprès de tel
barbon toujours disposé à jouer les Don Juan contre
un Dom Pérignon en galante compagnie…
19H45
Les nuits de Saint-Germain
Existe-t-il un « après » à Saint-Germain-des-Prés ?
Il est en tout cas un « avant », à quelques rues de
là. Cette incursion dans le VIe nous épargnera donc
une longue errance en quête d’un noctambulisme
rarement comblé dans le VIIe. Certes, les nuits
germanopratines ne sont plus ce qu’elles furent –
Gréco, Sartre, les Hussards et les divers clans
littéraires et philosophiques ayant laissé place aux
petits marquis de la communication, de la sape et du
show-biz. Djamel Debbouze et Laetitia Casta règnent
sans éclat sur la rue Bonaparte alors que Frédéric
Beigbeder promène sa silhouette entre Flammarion et
Castel. Cette dernière adresse n’est pas le plus
mauvais choix qu’on puisse se souhaiter. Bardot,
Dutronc, Johnny et Sagan ne hantent plus ce club
très parisien où l’on dîne, danse et papote en
compagnie de quelques célébrités du moment.
Castel – 15, rue Princesse (VIe) – M°
Mabillon – Tél. 01 40 51 52 80
Castel
15 rue Princesse 75006 Paris
Accès : Mabillon
Tèl : 01 40 51 52 80