ABDELLAH MOURAG
Cigale Mag n° 44
Juin 2012
À 15 ans, Abdellah est en formation vente et il s’ennuie ferme. Sa mère lui conseille alors de regarder du côté des métiers de la restauration, voir s’il n’y trouverait pas quelque chose qui lui plaise plus. Il va donc passer deux semaines chez un cousin boucher – mais non, ce n’est pas ça. Puis il enchaîne sur un stage d’observation en boulangerie ; le déclic est immédiat. Aussitôt, il s’inscrit en CAP Boulangerie à Pantin, dans le centre qui devait devenir, avec l’inauguration en 2010 des nouveaux bâtiments, le Campus des Métiers et de l’Entreprise de Bobigny.
Abdellah Mourag a un bel avenir devant lui et pourtant, à l’entendre, ce n’est ni à son talent, ni à son sérieux qu’il le doit, mais à Nelly Julien, patronne de la boulangerie « Douceurs et Traditions », et à Dominique Guy, responsable de la formation boulangerie au Campus de Bobigny. Il n’y a pas la moindre trace de fausse modestie chez le jeune boulanger et c’est finalement sa patronne elle-même qui rectifie dans un sourire : « Si Abdellah est là où il est aujourd’hui, c’est à lui et à lui seul qu’il le doit. En le prenant en apprentissage chez moi, je n’ai fait que lui tendre la main, mais c’est lui qui l’a saisie. Il s’y est même agrippé ! Même chose quand M. Toulmet, le président du Campus, s’est arrangé avec un de ses professeurs pour qu’Abdellah reçoive gratuitement des cours du soir en anglais, au cas où il veuille un jour partir travailler à l’étranger. Abdellah est un passionné, ça se sent tout de suite. Il a été bien formé, il a soif d’apprendre, il ne compte pas ses heures. Et puis, il faut quand même le dire : il est doué – ça aide ! »
La reconnaissance d’Abdellah envers Madame Julien n’est pas feinte. Ainsi lorsqu’il a décidé, son CAP boulangerie en poche, de rempiler pour un CAP Connexe de pâtisserie en un an, il a immédiatement demandé à sa patronne s’il pouvait le faire chez elle. « Au début, j’ai refusé, nous explique-t-elle. Je voulais qu’il aille voir comment ça se passait ailleurs. Mais lorsqu’il m’a appelée, quelques mois plus tard, pour me dire qu’il était plus heureux chez moi, je l’ai tout de suite repris. Les jeunes comme Abdellah, pour nous, c’est une immense valeur ajoutée : c’est un exemple pour tout le monde. »
Puisque, la veille encore, nous assistions aux épreuves du CAP boulangerie au Campus des Métiers et de l’Entreprise de Bobigny, nous lançons Abdellah sur le sujet. « Le CAP, ça rappelle des souvenirs ! Pour ma première année, j’étais dans les anciens locaux, puis on a déménagé à Bobigny et là : les bâtiments modernes, très lumineux, avec beaucoup d’espace – le matériel aussi : du dernier cri, la Rolls du matériel professionnel ! C’est motivant, de travailler dans un cadre comme celui-là. Et puis il faut que les jeunes réalisent : un CAP, ça dure deux ans et on est sûr d’avoir un travail à la sortie ! » Présentée sous cet angle, effectivement, c’est l’affaire du siècle…
Nous embrayons sur les professeurs – Dominique Guy notamment : « Monsieur Guy, c’est le meilleur. Il est strict, c’est sûr ; il ne plaisante pas sur les horaires, le comportement, la propreté des plans de travail – mais c’est le meilleur professeur que j’ai jamais eu. Quand je suis arrivé le premier jour, j’étais un peu impressionné et pas vraiment convaincu d’être là où je devais… Et Monsieur Guy a commencé son cours en nous montrant son tablier, le même que celui qu’on portait tous, en nous disant : « Vous voyez, on est tous habillés pareil. C’est parce qu’à partir du moment où vous entrez ici pour devenir boulanger, vous faites partie de la famille. Et comme dans toutes les familles, mon but, ça va être de vous passer mon amour du métier. Ce que je vais vous apprendre, ce n’est pas un boulot : c’est une passion. » Et c’est exactement ce qu’il a fait », conclut Abdellah.
C’est Dominique Guy, toujours, qui a poussé Abdellah vers le concours du Meilleur Apprenti de France – et aujourd’hui, la photo du jeune boulanger est encadrée dans les couloirs du Campus des Métiers et de l’Entreprise. Pour passer ce concours, Abdellah a bénéficié des conseils avisés d’un autre boulanger, bien connu des lecteurs de Cigale : Anis Bouabsa, qui devint en 2004 le plus jeune Meilleur Ouvrier de France en boulangerie (voir Cigale n°30). « Anis Bouabsa, c’est mon modèle, nous confie Abdellah. Pour le concours du Meilleur Apprenti de France, il m’a préparé, trois heures par soir, pendant plusieurs mois. Et puis grâce à lui, j’ai rencontré un autre boulanger, Sébastien Chevalier, champion d’Europe de boulangerie : cet été, je vais prendre des cours chez lui. »
Des cours payants, pour lesquels Nelly Julien a tenu à participer. « Abdellah ira loin, je le sais, nous explique-t-elle avec une pointe de fierté. S’il restait chez moi, dans quelques années, il deviendrait chef boulanger, mais je crois qu’il a d’autres ambitions et c’est très bien comme ça. » Et l’ambition, Abdellah n’en manque pas – il n’en a même jamais manqué. « Au début, se rappelle- t-il, c’était dur. Les horaires notamment : pour aller travailler, je prenais le bus de nuit. Alors que les autres voyageurs rentraient se coucher, moi je partais travailler ! Mais je ne me suis pas découragé ; je savais que ça valait le coup… »
Aujourd’hui, Abdellah est bien décidé à emboîter le pas à Anis Bouabsa. Il nous confie même avec malice que son modèle étant devenu Meilleur Ouvrier de France à 24 ans, il compte tenter le concours à 23 !
Et le mot de la fin ? « Il faut dire aux jeunes : si tu veux, tu peux. » Ah bon ? Mais pourtant, au début de cet entretien, Abdellah expliquait son succès par le hasard des rencontres… « Si, enfin j’ai eu de la chance… Ce que je veux dire c’est que dans le fond, sa chance, on se la fait ! » Voilà de belles paroles.