PIERRE CHEREMETIEFF
Cigale Mag N° 32
Mars-avril 2010
Le Curriculum Vitae du Comte Cheremetieff est une litanie de titres et d’honneurs qui sanctionnent un demi-siècle de générosité, d’intelligence et de talent au service des Arts, de la Russie et de la France. Ce descendant des Premiers Princes de Kiev et de la dynastie des Rurik est monté très haut dans la hiérarchie des derniers Princes de cœur.
Un entretien avec Pierre Cheremetieff est une
leçon d’histoire et une saga familiale qui
s’ouvre avec la Russie de ses ancêtres, celle
des Varègues, horde viking menée par le chef
Rurik depuis la Scandinavie, qui, après avoir
soumis Finnois et Slaves, fonda la principauté
de Novgorod en 879. Ce n’est pas rien mais ce
n’est pas tout puisque la dynastie, fidèle à
son rang, constituera tout au long de
l’histoire l’un des piliers de la noblesse
russe avec ce que cela suppose de sacrifices,
de courage et d’intelligence. Depuis lors, la
devise des Cheremetieff, princes de Kiev,
pourrait se traduire par le très altier «
Never explain, Never complain » auquel on
ajouterait volontiers « Jamais ne rompre ».
Les aléas de l’Histoire feront naître Pierre
Cheremetieff au Maroc en 1931 où lui-même et
sa famille échapperont un peu au destin des
exilés de l’après révolution bolchevique ;
sans pour autant échapper à une fatalité russe
qui, dit-on, entretient plus que de raison
l’art de la tragédie…
Sorti Major de Promotion de l’École Spéciale
d’Architecture de Paris en 1959, cet esthète
n’aura de cesse d’accorder à l’art et à
l’histoire franco-russe ses lettres de
noblesse. Son goût de musicien pour le piano,
le violon, la guitare et le chant, seront
autant d’arguments favorables pour prendre la
direction du Conservatoire Serge Rachmaninoff
en 1985.
« Ce Conservatoire est bien davantage aux
yeux des Russes,
explique-t-il.
C’est un vestige et un symbole. » Bien que peu indulgent avec le système qui
érigea la Russie en charnier, et força sa
famille à fuir la mère patrie, le Comte
Cheremetieff ne cultive pas un discours
politique anachronique et incongru.
« Je suis retourné en URSS dès 1979 en
pleine période brejnévienne, au grand dam de
mes compatriotes d’ici, et de ma propre
famille qui ne comprenait pas cette «
compromission » avec les fossoyeurs. Mais
j’avais à cœur de renouer les liens entre la
France et la Russie. Et je voulais revoir
les palais de ma famille à Saint
Pétersbourg. Mes séjours nombreux avant et
après la chute du régime, ont toujours eu
pour objectif la promotion du Conservatoire
et au-delà. »
Quelques photos en compagnie de Vladimir
Poutine et le Président Medvedev traduisent
d’autres activités de la plus haute
importance.
« Depuis 8 ans, je suis Président des
Russes vivant à l’étranger, ce qui
représente 40 millions d’âmes. Quant à
Vladimir Poutine, je le connais depuis 25
ans, du temps où il était chargé des
Relations Commerciales avec l’Étranger à
Saint-Pétersbourg. Ma vie, depuis 30 ans,
m’amène en Russie tous les 10 jours où
j’exerce plusieurs activités. »
Et suit une litanie de titres, de Présidences
et de charges qu’on ne saurait confondre avec
une quelconque quête de sinécures (qui n’en
sont d’ailleurs pas).
« Depuis le XVIIe siècle, la vocation des
Cheremetieff est de multiplier mécénats et
actions en faveur du bien public. La
parenthèse soviétique de 70 ans a suspendu,
hélas, cette mission que je me dois de
perpétuer malgré tous les préjugés. »
2010, l’année d’un dialogue peut-être recouvré
entre la France et la Russie, repose encore
sur cet artisan infatigable, interlocuteur
privilégié des Puissants dont il est loin
d’être dupe.
« Le régime russe actuel n’a pas
complètement évacué les miasmes de l’ancien
mais ce n’est pas pour un système que
j’œuvre mais pour la Russie. » Car ce ne sont pas les honneurs qui stimulent
ce Prince de sang, mais l’honneur.