Les cabarets font de la résistance

Les cabarets, autrefois lieux incontournables pour les artistes débutants, sont de moins en moins nombreux à Paris. C’est pourtant là que Léo Ferré, Coluche, Barbara, Gainsbourg, Brassens, Brel, Aznavour et bien d’autres ont fait leurs preuves.

Françoise Lemoine

Ces lieux mythiques s’appelaient l’Écluse, la Rose rouge, les Trois Baudets, le Port du Salut, la Contrescarpe, la Fontaine des Quatre Saisons, l’Échelle de Jacob, la Vieille Grille… C’était l’époque où, serrés les uns contre les autres, on pouvait encore boire et fumer, en écoutant religieusement des artistes inconnus, mais bourrés de talent. C’est vrai qu’à cette époque, la Star Ac’ n’existait pas et que la télévision ne gouvernait pas le monde.
Dans les années 60, on comptait deux cents cabarets, dont une majorité située sur la rive gauche. Gilles Schlesser, fils d’André, un des quatre fondateurs de l’Écluse, relate d’ailleurs ces lieux mythiques de Saint-Germain-des-Prés dans un excellent livre Le cabaret rive gauche (1). Au fil des ans, ces salles de spectacles se sont éteintes. L’industrie du disque, la télévision, le show-biz, la hausse des taxes les marginalisent peu à peu. Dans les années 70, le cabaret de plus en plus exsangue, fait place au café-théâtre. Les auteurs-compositeurs-interprètes se tournent vers les maisons de jeunes et les circuits associatifs. Il en est ainsi de Bernard Lavilliers, Michel Jonasz, Catherine Lara, Alain Souchon… Que de chemin parcouru depuis….
Jacques Mailhot, qui a racheté il y a deux ans le théâtre des Deux Ânes à Paris, mais qui a fait ses débuts à l’Échelle de Jacob, explique les raisons de cette désaffection : « Les cabarets se sont autodétruits. D’abord par le manque de rigueur des artistes. On les annonce à l’affiche, ils ne viennent pas. Ensuite parce qu’ entre 1970 et 1975, c’étaient les mêmes qui se produisaient dans tous les cabarets. Les clients se sont lassés. » Et de citer la multiplication des présences aussi bien au Don Camillo, qu’à l’Échelle de Jacob, l’Orée du Bois ou encore la Villa d’Este. « C’est dommage, poursuit l’humoriste, ancienne figure de l’Oreille en Coin. Le cabaret reste la plus belle des écoles. Cela apprend à réagir devant un public souvent hostile et crée une émulation. Avant, les anciens repéraient les jeunes qui avaient du talent et les prenaient en main. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ». Reprendre un cabaret démange Jacques Mailhot : « Si je trouvais un lieu, je n’hésiterais pas », affirme-t-il.
Aujourd’hui, les cabarets se comptent sur les doigts de la main. Le Don Camillo, la Villa d’Este, la Belle Époque, la Tête de l’Art, Chez ma Cousine, le Cesar Palace, font de la résistance. Beaucoup ont perdu de leur aura, à l’exception, selon Jacques Mailhot, de La Main au Panier, dans le Ve arrondissement (2) : « C’est l’un des derniers à donner sa chance aux jeunes et à conserver l’âme du cabaret. » Ceux cités précédemment sont effectivement plus ringards et considérés comme des pièges à touristes. À part bien sûr le Moulin Rouge, un cabaret à plumes, mais qui offre un spectacle d’une qualité exceptionnelle (lire nos éditions précédentes). Là au moins les touristes en ont pour leur argent…
Malgré les éloges de son ami Jacques Mailhot, le patron de La Main au Panier, Gérard Delaleau, se désespère : « Nous n’avons plus de repères. La maison travaille correctement, mais par rapport à avril et mai 2006, la fréquentation a baissé de moitié. » Ce fondu de vélo met cela sur le compte du beau temps que les Parisiens ont connu au mois d’avril : « D’habitude à cette époque, les provinciaux viennent nous voir. Or, depuis le 15 avril nous sommes sinistrés ». D’après lui, jamais on n’avait connu ça depuis l’ouverture de la Main au Panier qui fête en juin son 45e anniversaire. Pourtant ce dernier jeudi de mai, la salle aux tentures rouges et aux miroirs ovales était presque pleine. Trois grandes tablées étaient venues fêter qui, un départ à la retraite, qui, un anniversaire. Une clientèle jeune et joyeuse. C’est dans la bonne humeur qu’ils ont, après dîner, assisté au spectacle, présenté par la sympathique Martine. Au programme ce soir-là : Serge Llado que l’on entend tous les après-midi sur Europe 1 dans l’émission de Laurent Ruquier. Ce grand gaillard à l’accent catalan qui débusque les chansons plagiées, peut se targuer d’un humour désopilant. Excellent également l’imitateur Thierry Garcia qui officie sur France3, tout comme la charmante et dynamique Carine Erseng, auteur-compositeur. Bref, une belle affiche de jeunes talents qui prouve que les cabarets ne sont pas aussi ringards qu’on le dit. « On change le programme et le menu tous les mois », précise Gérard Delaleau qui a repris le cabaret il y a six ans. « Grâce à Internet nous touchons une clientèle de plus en plus jeune. Le bouche à oreille fonctionne aussi très bien. On ne vient pas seulement sur la réputation d’un artiste, mais pour un spectacle que l’on sait de qualité. »
Humoristes, chanteurs, imitateurs viennent nombreux frapper à la porte de la Main au Panier pour proposer leur spectacle : « Je les reçois tous, mais, en gros, sur quatre-vingts, j’en garde cinq, indique le patron. Ces deux dernières années, les artistes étaient vraiment excellents, mais ce n’est pas toujours le cas. ». Une fois sélectionnés, mieux vaut pour eux qu’ils se renouvellent, sinon on les remercie. Gentiment bien sûr… « Nos collègues et amis ne font plus d’auditions, constate Gérard Delaleau, mais ils récupèrent nos artistes. C’est la preuve qu’ils sont bons. »
Pour le responsable de la Main au Panier, la recette d’un bon spectacle est simple : diversité et qualité. Si un artiste a du potentiel, Gérard Delaleau n’hésite pas à mettre la main à la pâte : « Je lui écris ses textes et modifie les personnages ». Vrai que cet ancien compagnon de Jacques Mailhot a plusieurs cordes à son arc : comédien, auteur, metteur en scène et depuis quelque temps, passionné de vidéo et d’internet. D’ailleurs, chaque soir, il prend en photo ses clients et leur envoie gratuitement par mail : « Ils sont contents et cela nous fait de la publicité », plaisante-t-il avec un large sourire.
Moins conventionnel, un autre cabaret sort son épingle du jeu, c’est Bobin’o (3), racheté l’an dernier par Gérard Louvin à Philippe Bouvard. Mais là c’est davantage transformistes, travestis et compagnie… Il faut aimer, mais le spectacle dans l’esprit de l’Alcazar, vaut le détour, tout comme le repas et les vins, pour une fois originaux et exceptionnels. La salle légendaire de music-hall qui a vu se produire les grands noms de la chanson (Edith Piaf, Claude Nougaro, Serge Reggiani, Joséphine Baker…) a donc subi un sérieux lifting. Le parterre et la mezzanine ont été conçus dans l’esprit d’un théâtre à l’italienne, afin que tout le monde profite du spectacle. En haut, des canapés géants invitent le client qui préfère prendre un verre et voir le spectacle, à se lover…
Dès 22h, place au spectacle. Madame Pipi, affûtée d’un régime de banane autour de la taille, descend de l’élévator et imite Joséphine Baker. Exotique. Zoom ensuite sur des shows de cabarets traditionnels, mais modernisés et relookés. Place enfin à du hip-hop avant de finir sur le traditionnel french cancan rajeuni et dépoussiéré. Bravo à la trentaine de danseurs, tous excellents. Après en avoir pris plein les yeux, on pousse les chaises et on danse…

(1) – Le cabaret rive gauche de Gilles Schlesser (L’Archipel). 680pages. Prix : 24,95 €
(2) La Main au Panier – 5, rue de Poissy – Ve. Tél : 01 46 33 33 63 – www.lamainaupanier.info
Dîner-spectacle à 55 € – 70 € et 115 €. À partir de 20h15. Ouvert tous les jours mais fermé
du 14 juillet au 1er septembre.
(3) Bobin’o – 14-20, rue de la Gaîté – XIVe.
Dîner à partir de 19h30 . Menus de 125 €
à 195 €. Club à partir de 23h. Consommations
à partir de 15 €. Tél : 08 2000 9000.
Ouvert du mardi au samedi.