Les quais cahin-caha

Cigale Mag N°33
Mai-juin 2010

Les quais cahin-caha De la rive droite à la rive gauche, le cours de la Seine est aussi un cours d’histoire, une visite académique ou une promenade buissonnière sur les plus beaux quais du monde.


LA RIVE GAUCHE

09H30 L’ÎLE SAINT-LOUIS PREND LA MOUCHE

« La Maison de la Mouche », spécialiste de la pêche concernée, est présente sur le Pont de Sully depuis 1934. À la barre, le jeune couple Dubois succédant d’un seul « i » à la dynastie Dubos dont le patriarche, banquier de son état et pour le moins passionné, choisit alors de transformer sa banque… en magasin de pêche. La saga familiale perdurera jusqu’à ce qu’Alain Dubois et sa femme, très liés à la famille fondatrice, reprennent il y a cinq ans l’affaire en déliquescence. « J’avais un lien affectif avec la famille et cette boutique où j’ai beaucoup appris puisque je suis moi-même pêcheur à la mouche », nous explique cet Auvergnat de Paris qui n’hésite pas à sillonner les deux rives de l’Île Saint-Louis, gaule en main, pour taquiner la perche ou le goujon. La boutique, où l’on a conservé le comptoir de la banque défunte, est une invitation au chuchotement des rivières sereines loin de la ville alors même qu’une nouvelle mode en provenance d’Amérique – le « street fishing » (« pêcheur de rue », littéralement) – voit de plus en plus de salariés sortir du bureau, ligne en main, plutôt que dans les narines, pour aller plonger l’hameçon entre Bercy et le Pont Mirabeau et au-delà. Pêche aristocratique par excellence, cette pêche « propre » très joliment promue par « La Maison de la Mouche » à la proue de l’Île Saint-Louis s’accompagne d’un matériel élitiste et de beaux vêtements, dont de magnifiques couvre-chefs Stetson exposés aux reflets d’argent de la Seine. Référence ultime dans le milieu, Alain Dubois a vu débarquer chez lui l’acteur américain Tommy Lee Jones et, en voisin, Daniel Auteuil et Georges Moustaki, fort connu des commerçants alentour pour ses demandes réitérées de « remises ». Avant de se faire moucher bien sûr… Mais l’ami Dubois, en riverain de l’Île fustige aussi la colonisation de celle-ci par les « nouveaux » Russes ; et l’attitude des nouveaux acheteurs de l’Hôtel Lambert à proximité – le joyau prétendument « sauvé » par le Ministère de la Culture – qui débarquent « à la maison » escortés de policiers et de voitures à gyrophare. « Moi, conclut-il, personne ne m’escorte quand je viens ouvrir ma boutique le matin »… On ne lui demandera pas quelle mouche l’a piqué. »