Le monde est grand… Nos boulangers aussi !

Cigale Mag N° 41
Novembre 2011


Yves Desgranges et Éric Kayser ont au moins deux points communs : ils sont tous les deux boulangers et ils ont tous les deux un pied à Paris et l’autre sur le reste du monde !

Le monde entier nous envie nos boulangers. Ça, vous l’avez lu bien des fois dans nos pages et le fait que nous n’ayons jamais reçu la moindre lettre de contestation nous laisse penser que nous avons raison de l’écrire. Mais par acquit de conscience journalistique, nous avons quand même voulu vérifier en demandant leur avis à deux boulangers parisiens qui, contrairement à nous, savent de quoi ils parlent…

PRÉSENTATIONS
Il y a d’abord Yves Desgranges, des boulangeries du même nom. À force de remporter concours de boulangerie sur concours de pâtisserie, il a reçu voilà dix ans un coup de téléphone de Côte d’Ivoire, lui demandant de venir donner quelques cours aux employés d’une grosse boulangerie d’Abidjan. La machine est lancée. Depuis, Yves Desgranges se rend plusieurs fois par an à l’étranger pour dispenser la bonne parole du pain bien fait.
Il y a ensuite Éric Kayser, dont on se demande presque s’il est encore besoin de le présenter ! Sur les quelque 85 boulangeries Kayser éparpillées de par le monde, Paris en héberge une vingtaine. Et lorsqu’on sait qu’il a ouvert sa première boutique en 1996, il y a de quoi être franchement impressionné.

DES ÉCHANGES À DOUBLE SENS
Voici donc deux boulangers qui, sous deux modes différents, ont affaire avec l’étranger. Ils s’accordent sur un point, que résume parfaitement Yves Desgranges : « Partir à l’étranger, c’est bien sûr rencontrer des gens différents, de cultures différentes, ce qui en soi est déjà enrichissant. On reçoit autant qu’on donne. Et le fait que la base de ces échanges interculturels soit en plus un savoir-faire typiquement français, il y a là quelque chose de très fort. La pâtisserie française, à l’étranger comme chez nous, c’est une institution ! »
Voilà pour l’aspect humain, n’oublions pas l’aspect professionnel. « Moi, à chaque voyage, je rapporte quelque chose, raconte Yves Desgranges. Par exemple, en Moldavie, où je vais assez souvent donner des cours, ils utilisent beaucoup la faisselle. En France, allez savoir pourquoi, on en produit, mais on l’utilise relativement peu… Alors maintenant, dans la partie traiteur de mes boulangeries, on s’en sert beaucoup. »
Même son de cloche du côté de chez Éric Kayser : d’un de ses voyages, il avait par exemple rapporté l’ekmek, un gâteau au miel d’origine turque. Aujourd’hui, on le trouve dans toutes ses boulangeries parisiennes !

DES PÂTISSERIES ADAPTÉES
Il est pourtant amusant de noter que dans plusieurs de ces pays, il n’existe pas vraiment de tradition de pain ou de pâtisserie – au Japon par exemple, pourtant friand de boulangeries françaises, mais aussi dans les pays de l’Est : « En Ukraine, en Russie, en Moldavie, la pâtisserie est très basique, alors quand je vais là-bas, c’est pour enseigner les rudiments. Alors qu’en Côte d’Ivoire ou en Algérie, anciennes colonies françaises, la tradition boulangère est restée. Lorsque je m’y rends, c’est pour leur apprendre de nouvelles choses ou pour les perfectionner. Ce n’est pas la même démarche. »
Mais on le sait, pour faire du bon pain, il faut une bonne farine. Pour de bonnes viennoiseries, de bons produits de base. Lorsqu’on pense qu’aux États-Unis, pays occidental pourtant, il est presque impossible de trouver une farine identique à celle qu’on utilise en France, on imagine que la chose est encore plus complexe dans des pays lointains… Mais Luc Boulet, directeur général des boulangeries Kayser, relativise le problème : « Dans n’importe laquelle de nos boutiques, il y a des produits qu’on retrouvera forcément. La baguette, le croissant, c’est identitaire : c’est à la fois la France et la marque Kayser. Mais pour le reste, on fait beaucoup avec les produits du pays. D’abord parce que c’est ce qu’attend notre clientèle, ensuite parce que vous imaginez si on devait ravitailler depuis la France nos 85 boulangeries ! Au Japon, par exemple, on propose un pain de mie à l’encre de seiche ; à Taïwan, des financiers au thon… » On voit d’ici la tête du Parisien à qui l’on proposerait ce genre de produits !


UN SAVOIR-FAIRE…
Particularité pourtant des boulangeries Kayser dans le monde : chacune est dirigée par deux chefs français, un boulanger et un pâtissier. Une belle façon de dire que ce que les étrangers viennent chercher dans ces boulangeries, c’est moins un produit typique de l’Hexagone qu’une patte, qu’un savoir-faire typiquement français…
Yves Desgranges ne dit pas autre chose lorsqu’il nous confie avec malice : « Il n’y a pas vraiment de « mauvais produits » – seulement des boulangers qui ne savent pas faire avec ! Je me rappelle par exemple de cette boulangerie algérienne qui voulait apprendre à confectionner des pâtisseries de qualité supérieure. J’ai emmené un de mes fils pour qu’il m’aide, on y a passé huit jours, non-stop. Aujourd’hui, leurs pâtisseries ne sont pas celles que je sers rue de Passy – mais la qualité, elle, est identique ! » Ce sera le mot de la fin, celui qui nous permettra désormais d’affirmer sans crainte d’être contredit que le savoir-faire des boulangers et des pâtissiers français est un trésor national que le monde entier a bien raison de nous envier !