La passion précisément

ERIK SCHAIX

Cigale Mag n° 44
Juin 2012

 

Couture, maroquinerie, joaillerie : à l’étage de la boutique Erik Schaix, tous savoir-faire confondus, dix-sept artisans réalisent les modèles imaginés par le seul styliste de la marque, Erik Schaix lui-même, créateur touche-à-tout et homme de passions. 

Détournant à peine le proverbe, nous commencerons cet article par une petite maxime : dis-moi pour qui tu crées, je te dirai qui tu es. Qui sont ces femmes qui viennent s’habiller chez Erik Schaix, adresse confidentielle s’il en est, située rue Saint-Florentin, à deux pas de la Concorde ?

 

LE (BON) GOÛT DE L’EXCLUSIVITÉ

« Ma clientèle est principalement étrangère, nous explique Erik Schaix. Pour elle, Paris est synonyme de mode et mode a longtemps été synonyme de marques – jusqu’à ce qu’un jour, elle se lasse. » Les femmes qui viennent voir Erik Schaix ne sont pas novices en matière de haute couture, bien au contraire ; elles ont souvent usé, et même abusé des grandes marques, avant de se rendre compte qu’autour d’elles, tout le monde s’habillait chez Dior, se parait place Vendôme et voyageait en Louis Vuitton…
Ce qu’elles viennent chercher rue Saint-Florentin, c’est donc la pièce unique qui en dira plus sur elles-mêmes que sur l’état de leurs finances. « Lorsqu’on dit qu’un vêtement va, on pense à la taille, à la forme – c’est tellement plus. Il existe une sorte d’alchimie entre un vêtement, un sac, un bijou et la femme qui le porte. Rien de plus normal lorsqu’il s’agit d’une commande ; mais même lorsque ce n’est pas le cas : quand je termine un dessin, je sais exactement à qui, de mes clientes, il conviendra le mieux. Ce qu’on crée doit avoir un caractère propre, sinon c’est de la grande distribution ; ce n’est pas ce qui m’intéresse et ce n’est pas ce que mes clientes viennent chercher chez moi. »

 

DE LA COULEUR AVANT TOUTE CHOSE

Or qu’est-ce que la grande distribution sinon la contrainte de faire et de refaire toujours les mêmes modèles, dans les mêmes matières, pour un même effet ? « C’est un peu le principe des défilés de mode : on veut plaire aux journalistes et pour ne pas les brusquer, on se fixe des barrières, on se retient… Au final on ne crée plus, on se contente de décliner. Bien des créateurs de haute couture vivent de ce paradoxe de suivre les tendances qu’ils ont eux-mêmes lancées. Alors bien sûr, commercialement, ça fonctionne. Mais où est la passion ? »
Le mot nous démangeait les lèvres, c’est finalement Erik Schaix lui-même qui l’aura prononcé… Car l’élégante retenue qui le caractérise, on le sent bien, n’est qu’un voile derrière lequel bouillonne un caractère artiste et passionné. Bien qu’Erik Schaix en ait l’étoffe et la clientèle, les termes mêmes de « haute couture » lui paraissent suspects, lui préfère parler de « couture de luxe ». Voilà d’ailleurs dix ans qu’il a déserté les podiums, pour consacrer le temps et l’argent économisés au développement de sa partie joaillerie…Le fait qu’Erik Schaix soit couturier pourrait nous pousser à croire que sa partie joaillerie n’est destinée qu’à accompagner ses robes – il n’en est rien. « Les pierres, c’est mon premier amour. Quand j’étais enfant, chaque jour, sur le chemin de l’école, je passais devant la vitrine d’une bijouterie. Les couleurs me fascinaient. À neuf ans, je voulais devenir joaillier. Je me suis mis à collectionner les pierres et ça ne m’a plus quitté. » Mais on s’étonne : Erik Schaix, qui à l’instant nous parlait de passion, aurait bradé la sienne en délaissant la joaillerie pour la couture ? « À l’époque, la joaillerie était très classique, elle ne me correspondait pas. Ce que j’aimais, c’était les couleurs. Quand je me suis lancé dans la couture, je n’ai fait que déplacer cette passion des pierres au tissu. La couture autorisait la fantaisie que la joaillerie n’avait pas encore intégrée ; les pierres semi-précieuses, par exemple, n’étaient absolument pas considérées. Et pourtant quel éclat elles ont parfois ! Quelles couleurs ! En joaillerie, il m’arrive de faire des choses classiques, très « place Vendôme », mais ce que je préfère, ce sont les bijoux plus baroques, plus colorés, qui se prêtent aussi bien à la décontraction du jour qu’aux splendeurs de la nuit, et toujours dans l’épure : pas question de tomber dans l’outrance bariolée ! »

 

UNE IDÉE D’AVANCE

Oui, Erik Schaix est un passionné. C’est surtout un créateur jaloux de sa liberté, sans cesse à la recherche de nouvelles matières et que rien ne peut pousser à faire de l’uni comme de voir les autres faire de l’imprimé. Un temps, il se passionna pour le galuchat, un cuir de poisson exhumé de la période Art déco. « Une très belle matière, que peu savent travailler… Mais qu’importe : depuis qu’on l’a redécouvert, tout le monde en fait, même mal. Alors après m’être beaucoup amusé avec, j’ai arrêté de m’en servir. Notez, je suis ravi qu’un maximum de gens y ait accès. C’est juste qu’à partir de là, moi, ça m’intéresse moins… »
Le voici donc reparti vers d’autres matières comme on repart vers d’autres horizons. Il voudrait ouvrir un département jade, « une pierre magnifique, rarement utilisée par manque de connaissance et parce qu’elle ne correspond à aucune tradition française… ». Erik Schaix fourmille d’idées et sait que ses clientes le suivront. Parfois même un peu trop, à l’instar de celle-ci, lui confiant un jour que tout le monde s’extasiait devant les robes qu’il lui avait faites : « Vous savez, Erik, elles veulent toutes savoir qui les a dessinées, mais je vous promets, c’est un secret que j’emporterai dans ma tombe ! » Le couturier se remémore la scène et ne peut s’empêcher de sourire : c’est que l’éloge est terriblement contre-productif – mais quel beau compliment…Erik Schaix
01 42 61 19 10
6 rue Saint-Florentin
Paris 1er
www.erik-schaix.com