Cigale Mag N° 39
Juin 2011

Manger local à Paris, une utopie ?
Pas vraiment. À nous, choux, champignons et jambons de Paris, salades arrosées d’huile de Colza, radis, cresson, pommes de terre, oignons blancs, légumes, incontournables bries, coulommiers et pour finir pommes, poires, cerises et fraises. Le tout accompagné d’une baguette au blé produit en Beauce.
Bien sûr, cela ne suffit pas pour un repas équilibré, ni pour contenter 12 millions de Franciliens. L’autosuffisance n’est pas pour demain, d’ailleurs elle ne l’est plus depuis le XVIe siècle. Mais cela rappelle que 48 % du territoire francilien est agricole et le quart forestier.
Et là ce ne sont pas les villes à la campagne, mais la campagne qui se rapproche de l’assiette des Franciliens, pour leur plus grand bonheur.
Car les mentalités changent.
Avec la crise économique, nous consommons moins et privilégionsqualité et proximité. Le consommateur
veut manger bon et sainement.
Quand il n’a pas le temps, ni la possibilité de cultiver un lopin de terre, il opte pour une production locale. Selon une enquête publiée par le CERVIA (Comité Régional de Valorisation et d’Innovation Agricole et Alimentaire Paris Île de France), 40 % des Français plébiscitent la qualité, 30 % le lieu de production et 91 % apprécient les AOC. Le fait de consommer des produits régionaux est un gage de fraîcheur, de qualité et de préoccupation de l’environnement.
100 % LOCAL Les chefs ont compris qu’il y avait là un marché à prendre, tels ceux des hôtels parisiens appartenant au groupe Westin (voir article page 20). Depuis 2008, ils proposent à la carte des plats « 100 % locaux ». À cette époque leur champ d’action se limitait à 160 kilomètres de la capitale. Depuis peu ils ont élargi le périmètre à 200 km. Ne chipotons pas : du très, très grand Paris…
Régulièrement ces chefs partent sur les terres des producteurs locaux pour travailler avec de nouveaux produits. « Nous préférons élargir le périmètre pour proposer une plus grande variété », explique tout de même Aurélie Ternisien, chargée des relations publiques du groupe.

 

DES PRODUCTEURS À RUNGIS

Pourtant, inutile d’aller bien loin.
À Rungis, par exemple où depuis 2004, le carreau Île de France accueille soixante-dix producteurs de la région parisienne.
Ce vendredi matin, les salades abondaient, mais aussi tomates, oignons, herbes aromatiques ou encore pommes et champignons. Comme chaque jour, Pascal Bolay est au rendez-vous et fait grise mine. Producteur de jeunes pousses sur une exploitation de 75 ha à Saulx-les-Chartreux (91) il semble découragé. « Le marché ne vaut plus rien. Notre chiffre d’affaires a baissé de 40 % par rapport à l’an dernier. En un an le prix de la salade est passé de 5 € à 2,50 €. On ne peut pas s’en sortir ». Le maraîcher met en cause la ménagère qui préfère ouvrir un sachet plutôt que d’éplucher et laver une salade. Alors, pour lui la mode du « manger local » est « du cinéma ».
« Voilà dix-huit ans que je fais ce métier. Chaque année les volumes diminuent, comme le nombre de producteurs. Pour s’en sortir on n’a pas d’autres choix que de limiter la production. Si je n’avais pas de crédit à rembourser, il y a longtemps que j’aurais mis la clé sous la porte ».

À quelques producteurs de là, Benjamin Devos, jeune patron dynamique des Saveurs de Chailly au sud de la Seine-et-Marne, propose, lui, dix-huit variétés de tomates : des noires de Crimée, des roses de Berne, des grosses, des petites, des coeurs de boeuf, des variétés très appréciées par les grands restaurants parisiens comme le Sensing et le Grand Véfour tenus par Guy Martin : « La ménagère aussi apprécie de plus en plus ces produits anciens, mais il faut se battre contre les importations, alors que la production nationale suffi rait grandement à satisfaire la demande.
C’est vrai que les prix ne sont pas les mêmes, mais moi, je n’utilise aucun traitement chimique », explique le jeune patron.

 

L’HIVER LE CARREAU SE VIDE

Chaque année, le carreau de Rungis écoule 25 000 tonnes de légumes et 3 000 tonnes de fruits. Proposant des produits uniquement de saison, les maraîchers sont surtout là entre avril et novembre « L’hiver, le carreau se vide, précise Sylvie Pasquet, la jolie présidente de l’AIDPFL (Association, Interdépartementale Des Producteurs de Fruits et Légumes). Elle comprend l’inquiétude de Jean Bolay, le producteur de jeunes pousses, mais elle ne met pas cela sur le compte de la ménagère, mais plutôt sur l’effondrement du cours de la salade depuis janvier dernier. Sans compter que la météo actuelle n’arrange rien : « En avril nous avons connu une surproduction. Et cela ne va pas s’arranger. Au contraire, avec la sécheresse la situation se corse, d’autant que des mesures de restriction d’eau s’annoncent. Si nous ne pouvons pas arroser la salade, la production s’en ressentira.
L’utilisation de petits tuyaux pour arroser demande beaucoup plus de travail et d’énergie ». Les conséquences météorologiques ont notamment affecté la production de fraises : « Les gariguettes ont eu quinze jours d’avance et se sont trouvées en concurrence avec les fraises d’Espagne, poursuit Sylvie Pasquet. Nous avons eu du mal à écouler nos produits. Là encore on dit que nos fruits et légumes sont chers, mais ce n’est pas la même qualité. En général les fruits rouges marchent très bien car cela ne supporte pas la médiocrité ».

Selon la présidente, tous les producteurs sont ravis de se retrouver au carreau « ils apprécient le contact avec la clientèle et les restaurateurs. Ils peuvent valoriser leurs produits et expliquer leurs techniques de culture. Nous recevons de nombreuses demandes, mais les producteurs doivent montrer patte blanche et respecter certains critères pour louer un emplacement à l’année. »